Projet de fin d’études en Mesures Physiques : élaboration d’un « smart voltmeter »

Smart Instrument : comment développer un instrument de mesure avec des services étendus et des caractéristiques métrologiques honorables à faible coût ?

Frédéric TRON, professeur agrégé dans le département Mesures Physiques de l’IUT du Limousin – Juin 2022

Lors de leur projet de fin d’études, deux étudiants de la spécialisation Techniques Instrumentales du DUT Mesures Physiques, Paul BARNAUD et Arthur DUMOUSSEAU, ont travaillé avec succès à l’élaboration d’un « smart voltmeter ».

 

Qu’est-ce qu’un « Smart Instrument » ?

Il s’agit d’un appareil de mesure qui apporte des fonctionnalités supplémentaires. Dans le cas présenté ici, le voltmètre calcule lui-même l’incertitude de mesure et l’affiche sous une forme conventionnelle, ici E = (3,000 08 ± 0,000 64) V. Il délivre ce qu’on appelle un résultat de mesure[1] et non une simple indication du mesurande.

Photo de droite : résultat de mesure affiché par le smart voltmeter (au-dessus) et étalon de tension (au-dessous)

L’incertitude de mesure ne dépend-elle que de l’instrument ?

Non, en effet, l’incertitude est due à de multiples erreurs et notamment au fait que le mesurande n’est pas nécessairement constant au cours du mesurage mais cela est pris en compte dans le calcul de l’incertitude par l’évaluation de la répétabilité.

C’est un sérieux gain de temps pour l’utilisateur que de ne pas avoir à produire lui-même ces calculs qui consistent à réaliser un mesurage multiple, par exemple en relevant 100 indications successives, à en calculer la moyenne, l’écart-type expérimental, l’incertitude de répétabilité pour enfin en faire la somme quadratique avec les incertitudes de l’instrument (étalonnage, résolution du CAN[2], résolution d’affichage, température).

Ces fonctionnalités n’existent-elles pas déjà sur des instruments de mesure ?

Si, en effet, on trouve des fonctionnalités statistiques intéressantes mais pas le calcul d’incertitude. Par ailleurs, si les caractéristiques métrologiques de ces instruments sont meilleures que celle de notre prototype, leur coût est sans rapport : plus de 1500€ pour un Fluke 8846A, par exemple, à comparer à notre smart voltmeter qui réunit des composants pour un montant inférieur à 100€… Bien sûr, dans le cas d’un développement industriel, il y aurait d’autres coûts à prendre en compte.

Cet instrument proposerait donc des fonctionnalités intéressantes mais des caractéristiques métrologiques médiocres ?

Médiocres, certainement pas !

D’ailleurs, un premier indice est sa résolution : on peut se permettre d’afficher 5 décimales pour une tension comprise entre 0 et 4V, soit une résolution de 10µV…qui correspond à celle de l’étalon de tension.

Un autre élément plus déterminant est l’incertitude qui correspond à 200ppm de l’indication. Pour information, celle de l’étalon de tension est de 50ppm. Il n’y a donc vraiment pas à rougir.

Comment est-il possible d’obtenir de telles performances ?

La solution hardware n’a rien d’originale : il s’agit d’une plateforme Arduino Uno[3] à laquelle sont associés un CAN et un afficheur LCD, tous les deux sur bus I2c. Ces technologies sont bien maitrisées et on trouve une documentation abondante et libre.

L’originalité est liée à l’exploitation d’un étalonnage qui prend en compte les défauts du CAN (tolérance des composants) mais aussi la température qui agit directement sur ses caractéristiques. Cet étalonnage a permis d’élaborer un modèle qui permet de corriger la mesure brute réalisée par le CAN en mesurant la température.

Le smart voltmeter en cours d’étalonnage : la tension est maîtrisée grâce à l’étalon et la température imposée par une enceinte climatique.

Habituellement, l’application de la correction d’étalonnage est faite par l’utilisateur, le smart voltmeter réalise cette tâche lui-même.

À gauche, indication brute, à droite, indication corrigée.

C’est curieux, il subsiste un écart entre l’étalon et l’indication corrigée.

Bien sûr ! Il ne faut pas oublier que l’étalon lui-même n’est pas parfait : il présente simplement des erreurs suffisamment faibles par rapport à l’instrument qu’il permet d’étalonner. Sur l’exemple ci-dessus, l’erreur passe tout de même de -1,27 mV sans correction à +120µV avec correction, soit dix fois moins.

Parlons un peu de formation : comment les étudiants ont-ils travaillé pour obtenir ce résultat ?

Ce projet s’est déroulé en deux temps.

Une étude bibliographique, en autonomie, au cours du premier semestre a permis de préciser le cahier des charges, d’étudier les spécifications des matériels (Arduino Uno, CAN, afficheur LCD) et de dégrossir la structure logicielle. Des évaluations formatives ont été réalisées ainsi que certificatives pour sanctionner ce travail synthétisé dans un rapport bibliographique.

Au deuxième semestre, les étudiants ont bénéficié de 40h encadrées pour la réalisation pratique ce qui permettait des feedbacks immédiats sur leur travail. Là aussi, des évaluations formatives et certificatives ont été réalisées.

Est-ce que cette modalité pédagogique n’est pas remise en cause par le passage au BUT ?

Bien au contraire, cette modalité s’inscrit totalement dans l’Approche Par Compétences déployées dans le BUT, ce qui n’est d’ailleurs pas étonnant car si l’APC est une révolution pédagogique en se recentrant sur les compétences plutôt que les contenus disciplinaire, les modalités pédagogiques du DUT allaient de plus en plus dans ce sens : faire la part belle à une contextualisation professionnelle, donner du sens à ce qui devient nécessaire à apprendre pour pouvoir réaliser un projet. Nous sommes passés d’une somme de travaux pratiques qui pouvaient être des briques de base – à peut-être utiliser un jour, dans une vie professionnelle – à des Situation d’Apprentissage et d’Évaluation qui plonge immédiatement les étudiants dans la réalisation de projets professionnels.

On peut donc supposer que vous allez continuer à développer des smart instruments ?

Absolument ! Je pense que c’est le sens de l’évolution technologique qui rend accessible des puissances de calculs et des facilités de mise en œuvre que nous ne connaissions pas il y a seulement dix ans.

Un exemple de futur projet ?

On peut en imaginer beaucoup ! Par exemple, lors de l’étalonnage de thermomètres, il n’est pas toujours aisé de distinguer à l’œil nu si l’étalon de température est stable ou non. Un algorithme existe qui permet, par des tests statistiques, de déterminer quand la stabilité est suffisante vis-à-vis des autres sources d’erreur (celles des instruments…). Il serait très intéressant de réaliser un smart temperature standard qui indiquerait lui-même quand il est stable en associant à l’étalon de température…un Arduino

[1] Les termes en gras font référence à JCGM 200:2012 Vocabulaire international de métrologie – Concepts fondamentaux et généraux et termes associés (2012)

[2] Convertisseur Analogique Numérique : composant qui traduit en valeur numérique la tension qu’on lui présente

[3] L’Arduino Uno est une plateforme de prototypage électronique open-source, basée sur un microcontrôleur Atméga328 et un environnement de développement simple à utiliser